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Article complet publié initialement dans Jeune Afrique, sous le titre Référendum au Gabon : Charles Mba et Alain-Claude Bilie-By-Nze, l’interview croisée
Georges DOUGUELI
Publié le 25 novembre 2024
Jeune Afrique
À la suite du référendum du 16 novembre, l'opposition a dénoncé des fraudes et des résultats tronqués. Quelles leçons peut-on tirer de ce scrutin?
Nous avons recueilli des éléments concrets prouvant qu'il y a eu des bourrages d'urnes. Plusieurs vidéos montrent des scrutateurs y faisant glisser des dizaines d'enveloppes, en se servant de dizaines de cartes d'électeurs non récupérées par leurs détenteurs légitimes.
Il existe en outre de nombreuses situations où le nombre total de suffrages exprimés est supérieur au nombre d'électeurs. Et que dire de ces cas extraordinaires qui se sont produits dans certaines localités du Haut-Ogooué et du Woleu-Ntem ? Dans un département de la province du Haut-Ogooué, par exemple, nous avons 3 044 inscrits et 3 044 votants en faveur du « oui », ainsi que 0% de bulletins blancs ou nuls. Avouez qu'il s'agit là d'une situation exceptionnelle en matière électorale.
Pourquoi, selon vous, l’abstention est-elle une victoire d’un camp sur un autre ?
Si l’abstention n'est pas à proprement parler une victoire du « non », il s'agit néanmoins d'une défaite cinglante du pouvoir, qui avait cru transformer ce référendum en un plébiscite pour le président de la transition. Le peuple gabonais, qui n'a pas été dupe de ces manœuvres, a massivement déserté les urnes.
Reste que l'on peut parler d'une victoire du « non » car nous avons su relever les incohérences du texte proposé et la dangerosité de certaines de ses dispositions. L'abstention, comme vous le savez, est un message politique et, dans ce cas d'espèce, ce message est très clair.
Ce projet de Constitution, qui confère au président des pouvoirs très étendus, les Gabonais n'en veulent pas. Tout comme ils ne veulent pas d'une amnistie constitutionnelle pour les auteurs du coup d'État, ni d'un mandat de sept ans.
Le rôle du ministère de l'Intérieur dans l'organisation du scrutin est questionné. Quelle est votre opinion sur ce sujet ?
L'histoire de notre pays, depuis le retour au multipartisme, a démontré que le ministère de l'Intérieur manque totalement d'impartialité, car notre technostructure est généralement recrutée sur des bases clientélistes, ce qui ne favorise pas la neutralité de l'administration. C'est la raison pour laquelle, après les catastrophes électorales de 1991 et 1993, les acteurs politiques gabonais avaient décidé de retirer l'organisation des élections au ministère de l'Intérieur.
La publication des chiffres invraisemblables du référendum du 16 novembre dernier prouve que les mauvaises habitudes sont profondément ancrées et que le temps n'a eu aucun effet. En outre, la fonction de ministre de l'Intérieur était occupée pendant de nombreux mois par le président du CTRI [Comité pour la transition et la restauration des institutions] et l'occupant actuel n'en était que le ministre délégué, ce qu'il est encore dans les faits. De ce point de vue, l'élection est donc organisée par l'un des candidats, ce qui ne peut être accepté dans une véritable démocratie.
Nous pensons qu'il vaudrait mieux revenir à l'organisation des élections par un organisme indépendant, quitte à ce que les partis politiques n'en soient plus membres, mais que les candidats aux urnes y soient représentés à tous les échelons, afin de garantir un minimum de transparence et d'équité.
S'il fallait faire un bilan global du CTRI à ce stade, comment le jugeriez-vous ?
Le CTRI s'était donné pour mission de restaurer les institutions.
Y est-il parvenu quatorze mois plus tard ? À l'évidence, non. Ce constat à lui seul suffit à répondre à votre question. Pour le reste, l'esbroufe semble être la boussole.
Avez-vous le sentiment que le système soit verrouillé par les militaires ?
Comme je l'ai dit, il vaudrait mieux confier l'organisation des élections à un organisme indépendant avec la présence de vrais observateurs internationaux, en tirant toutes les leçons du passé, et notamment de 2016. Il conviendrait par ailleurs de procéder à un audit du fichier électoral. Nous devons également questionner le rôle de l'armée et de la garde républicaine dans le processus électoral. Si par le passé, on a pu avoir recours à l'armée pour sa neutralité supposée et sa logistique, force est de constater que, depuis le 30 août 2023, elle a désormais pris parti et n'est plus un acteur neutre. Du reste, la campagne référendaire a vu de nombreux généraux prendre position en faveur du « oui ».
Des officiers supérieurs ont même remplacé leur treillis par un tee-shirt et fait campagne. Il faut tout simplement sortir les militaires du processus électoral.
Une élection présidentielle pourrait avoir lieu au premier trimestre 2025, selon certaines sources. Comment appréhendez-vous cette échéance ?
Avancer la présidentielle au premier trimestre 2025 serait déjà une manière de frauder, car le calendrier annoncé la prévoit pour le mois d'août. Ce serait également se lancer dans une aventure fort risquée, car, techniquement, il sera très difficile de tenir tous les délais légaux prévus par la loi sur la révision de la liste électorale, la publication et l'affichage de ladite liste, l'enregistrement et l'examen des candidatures, leur publication, l'édition des bulletins de vote, etc.
Sans compter le plus important, à savoir l'adoption de lois organiques spécifiques relatives à l'élection du président de la République et toutes les lois connexes, y compris un nouveau code électoral. Dans ce domaine particulier et très sensible, la précipitation serait mauvaise conseillère